Portée depuis 2010 par Anne-Françoise Lesuisse, la BIP - Biennale de l’Image Possible - s’inscrit dans des problématiques d’images et de société. Quels rapports les images entretiennent-elles avec la société ? Quelles nouvelles manières empruntent-elles pour tenir un discours singulier sur le monde ? L’édition de 2020 répond pleinement à ces objectifs en s’attachant à « l’impact de l’art sur nos réalités ».
Quel est l’impact de l’art sur le réel ? Quel sont ses effets sur la manière dont nous envisageons notre place dans le monde, sur nos actions et nos émotions ? Comment l’art affecte-t-il les espaces et les temps que nous habitons, la société et les machines à informer, représenter et distraire qu’elle nous propose/impose? D’un point de vue spéculatif, la thématique est (trop) vaste et imprécise, d’un point de vue artistique, elle donne lieu à un ensemble fécond de propositions poétiques et politiques. Le choix de délaisser les lieux institutionnels dédiés à l’art pour occuper provisoirement ‘La Menuiserie’ - d’anciens ateliers communaux en attente de transformation en un centre d’entreprises focalisées sur la transition - et les 2500m2 de l’ancien magasin Decathlon témoigne du questionnement des rôles de l’art face au travail et à la consomation de masse.
Lieux atypiques
Offertes aux regards de tous les passants, les vitrines de l’ancien magasin d’articles de sport deviennent les pages géantes d’un cahier sur lesquelles on peut lire « en habits de soleil encore hors-cadre j’aveugle les miradors » ou « je peuple les angles morts ». Ces sentences, ces aphorismes et ces poèmes ont été écrits et posés là par l’artiste urbain Sean Hart. A l’intérieur, l’artiste propose Parce que, le dessin géant d’une scène imaginaire de Tintin au Congo représentant Tintin et Milou transpercés par une lance. Ils sont aussi représentés sous la forme de figurines de bois (mimant les produits dérivés en plastique), réalisées en collaboration avec le sculpteur congolais Junior Amanga.
L’espace central est occupé par deux projets curatoriaux extérieurs sélectionnés suite à un appel lancé fin 2019. Le premier, Les 7 péchés du capitalisme, émane de l’artiste/ curateur Ilan Weiss et des artistes Camille Dufour et Rafaël Klepfisch. Il prend la forme d’un atelier de xylogravure où les deux artistes impriment chaque week-end un péché en cent exemplaires. Les visiteurs sont invités à s’en emparer pour les afficher quelque part dans la ville. Le second projet, porté par Amandine Faugère et Camille Lamy s’intitule Le Cabinet de Curiosités Économiques. Il regroupe des objets aussi variés que des bannières revendicatrices, des guirlandes de cravates, un jeu de société Donald Trump, un reportage photographique sur des zones immobilières abandonnées, etc. Dûment classifié et divisé en trois chapitres, il invite à poser un regard archéologique sur les traces et les symboles du capitalisme comme s’il s’agissait d’une époque révolue et fossilisée. L’entièreté du fond de l’espace est occupé par 23 Chat-Posters de Thomas Hirschhorn : des cartons d’emballage de grandes dimensions deviennent des écrans géants de Smartphone. Ils proposent d’étranges conversations où des émoticons ou des photographies répondent à des citations de textes de la philosophe et intellectuelle française Simone Weil.
A la Menuiserie, Me, Myself and I, le troisième projet curatorial mené par Pieter-Jan Valgaeren, regroupe de façon un peu didactique des vidéos de jeunes artistes qui détournent les codes des réseaux sociaux. Ainsi, les avatars de Molly Soda dansent avant de disparaitre ou le duo Emilie Brout & Maxime Marion s’approprient les codes de la banque d’images Shutterstock pour nous proposer le trailer de A Truly Shared Love et mêlent ceux de la pornographie et de la réalité virtuelle avec Sextape. Au sous-sol, le chercheur, enseignant et artiste Grégory Chatonsky présente Le Rêve des Machines. Au travers d’installations sonores, de vidéos, de sculptures, il transforme l’espace en un datacenter abandonné des humains et peuplé d’intelligences artificielles qui rêvent en se nourrissant des images stockées dans d’immenses bases de données.
Le remarquable travail photographique de l’artiste espagnole Laia Abril se déploie à travers le premier étage. Depuis 2016, l’artiste élabore une Histoire de la Misogynie. Un premier chapitre était consacré à l’avortement, celui qu’elle présente ici concerne le viol. Une série de photographies noir et blanc en format 1/1 montre un vêtement vide. Une robe de mariée, un uniforme de prisonnière, une blouse d’enfant figurent une femme violée. L’essai se prolonge avec des photographies d’objets accompagnées de textes qui attestent de l’universalité de la culture du viol.
Au même étage, un espace présente Mare Clausum, Sea Watch vs The Libyan Coast Guard, un film réalisé par ‘Forensic Architecture & Forensic Oceanography’ basée à l’université de Londres. Cette agence composée d’architectes, d’informaticiens, d’artistes, de journalistes et d’avocats reconstitue des événements en combinant des images filmées, des modélisations 3D et des entretiens avec les protagonistes. Dans le film présenté ici, des données radar, des images satellites, des images de téléphones portables reconstruisent l’affrontement entre l’ONG Sea Wach et les garde-côtes libyens lors d’une opération de sauvetage en Méditerranée en novembre 2017.
Une dizaine d’autres lieux accueillent des expositions de la BIP, parmi lesquels on mentionnera particulièrement la maison de création ‘Le Corridor’. Une vingtaine de créateurs et de chercheurs sollicités par Dominique Roodthooft interrogent le concept du filtrage en accord avec le titre - L’éponge & l’huître ou que faire des crasses qui nous traversent ? La visite prend la forme d’une expérience théâtrale singulière, intime et marquante. Un vaste programme d’événements (ateliers, rencontres, visites commentées, etc.) et un programme off accompagnent cette belle édition de la BIP.