“Je pense que j’ai plus de testostérones que beaucoup d’hommes.” Les mots de Liliane Vertessen sont bien pesés. Sa présentation solo en rouge et noir à Zwart Huis dans la section ‘Rediscovery’ montre des œuvres qui l’ont rendue célèbre dans les années 80 : des autoportraits sexy où elle apparaît enveloppée dans un néon avec le mot ‘lust’ ou ‘punk’, mais aussi une sculpture miroir intitulée ‘See and think about it’. Des œuvres témoignant d’un certain esprit critique et d’une bonne dose d’énergie.
Christine VUEGEN
Le public international, en particulier les jeunes générations, a sans doute oublié sa pratique artistique d’avant-garde. Liliane Vertessen (°1952, Leopoldsburg, vit à Heusden-Zolder) raconte dans le catalogue de ‘A Love Supreme’, la grande exposition que lui a consacrée le Musée de la Photographie de Charleroi l’année dernière, comment tout a commencé à l’enfance et évoque ses apparitions de chanteuse et musicienne dans le groupe ‘The Tweeters’. Ses tenues très spéciales, parfois cousues par ses soins, ne sont pas réservées à la scène et elle les arbore aussi au quotidien. Elle produisait depuis les années 70 des œuvres d’art avec des photos d’elle-même, avant même Cindy Sherman, avec qui elle exposa en 1987. Elle imprimait des photos anciennes sur papier très coloré, et ultérieurement sur émail. Son œuvre ne se réduit pas à cela, mais il faut noter qu’elle ajoute quelque chose aux expositions de groupe avec Gilbert & George, Claude Cahun, Marina Abramović, Orlan, Elke Krystufek, l’ancienne et la récente vague féministe ou des rebelles qui font trembler l’univers de l’art sur ses fondations.
‘Lust’ (1981) tourne en dérision la vision stéréotypée de la femme, mais aussi de l’homme. C’est une photo de vous-même derrière une fenêtre à demi-occultée par un néon rouge. Le personnage entre les lettres du mot ‘lust’ portant un ours en peluche blanc et faisant la moue semble apathique, outragée et vulnérable…
Liliane Vertessen: “Il faut la replacer dans le contexte des années 80. Je ressentais bel et bien l’énergie, le désir, mais je ne voulais pas en faire des tonnes (rit). L’image est encore plus ambiguë lorsque le néon est allumé. J’essaie toujours de donner à mes photos plusieurs niveaux de lecture. Tout le monde voit quelque chose d’autre, donc à chacun son interprétation. C’est à chaque fois une découverte de ce qu’il y a en moi. C’est pourquoi que j’ai commencé à me prendre en photo. J’en avais besoin pour échapper à l’étroitesse de mon univers. C’est plus facile de trouver des gens qui vous ressemblent dans une grande ville comme New York. J’ai toujours été différente, dès mon jeune âge. Une femme du quartier m’appelait même ‘lelijke Janneke’ (‘Janneke la laide’) au lieu de Liliane. Je me suis donc mise à rechercher cette laideur dans le miroir. Je passais beaucoup de temps devant la glace, mais jamais par narcissisme.”
‘See and think about it’ (1988) est une sculpture rouge et noire avec un miroir, des symboles nazis et deux petites photos de vous-même avec un képi allemand et un missile antitank. Qu’est-ce qui vous amène à produire cette pièce ?
Vertessen: “J’étais alors consciente du pouvoir des musées et des galeries, du commerce de l’art et des abus de pouvoir. Les artistes étaient exploités et ce qu’ils voulaient ne comptait pas. L’idée de cette œuvre, c’est de dire aux commissaires d’exposition, aux directeurs de musées, aux galeristes, aux critiques : regardez dans le miroir et réfléchissez bien. Il y est question de pouvoir, d’abus de pouvoir, de la prétention d’hommes et de femmes qui se croient habilités à rejeter les jeunes talents, à leur refuser leur crédit. Elle a même été accrochée dans le musée de Jan Hoet à Gand. Je ne sais pas s’il savait pourquoi je l’avais créée. Mais c’était fantastique qu’il me laisse exposer aux côtés de Wim Delvoye et Pjeroo Roobjee. J’avais à l’époque acheté un vieil avion pour un très bon prix et il y avait notamment une sculpture avec un missile Entac, celui que je tiens dans les mains sur la photo. Tout est pour moi question d’énergie, de force, de pouvoir, d’émotionnalité. C’est pourquoi je disais tout à l’heure que j’ai plus de testostérones que certains hommes.”
‘Je est un autre’, la fameuse phrase de Rimbaud, me vient à l’esprit. Vous apparaissez dans vos œuvres sous toutes sortes d’aspects, de l’ingénue à la diva hollywoodienne et il ne s’agit pas d’un jeu de rôles. Vous voilà maintenant en maîtresse SM et pilote de chasse. Pourquoi ?
Vertessen: “C’est difficile de ne pas être commercial à Art Brussels. Je me suis dit que je ne visais pas la vente. Je vais montrer ma force féminine et le pouvoir face à l’abus de pouvoir. Je ne cherche pas à plaire au public. Si j’utilise une photo, elle ne doit pas être flatteuse. Une photo ratée peut avoir plus de puissance car on peut y ajouter quelque chose. Dans les années 60, j’entourais les cadres de peluche et j’utilisais des plumes. C’est comme ça que j’ai commencé. Je voulais déjà travailler hors du cadre et c’est toujours le cas. Je veux continuer à m’étonner moi-même de ce que je fais. Si vous posez des questions, je commence à parler, mais je trouve encore plus fort de mettre ce que je pense dans une image, une image compacte et de la lancer comme on lance une bombe.”
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